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j’essayai de divers moyens pour la faire boire, mais tous furent inutiles.

Le soir venu, tante Rude, qui ne pouvait gronder l’enfant s’en prit à moi, et m’accusa de maladresse. Elle prépara un nouveau biberon qu’elle glissa sous mon oreiller, puis, sans plus se soucier de nous, elle tira la porte sur elle jusqu’au lendemain.

La petite Reine ne voulait pas s’endormir, rien ne la calmait ; ni le mouvement régulier du berceau, ni les airs lents que j’imitais de Manine. Elle avait faim. Ses cris se faisaient plus aigus à mesure que la soirée s’avançait, et peu à peu cela devint une véritable crise nerveuse qui tordit tout son petit corps. Je pensai alors aux convulsions, et je suppliai Clémence d’aller chercher du secours au moulin. Mais Clémence accroupie sur le pied de mon lit refusa en pleurant, car si elle était effrayée par les cris de sa petite sœur, elle l’était bien davantage à l’idée de traverser le jardin dans l’obscurité. Tout ce que je pus lui promettre « en pour » ainsi qu’elle avait coutume de dire ne put la décider. Dans mon impuissance à me déplacer moi-même, je fus prise de désespoir et me mis à pleurer aussi. Et tout à coup Clémence me dit :

— Puisque tu es grande, pourquoi que tu ne lui donnes pas à téter comme maman ?

Je savais que cela ne m’était pas possible, cependant je pensais que le simulacre pourrait calmer l’enfant. Et, tout en regrettant de ne pas posséder la belle noisette brune qui terminait le sein de Manine, j’approchai la petite Reine ma poitrine maigre et sans forme.