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revenir plus vite encore aux heures de la tétée.

Malgré la gentillesse du bébé qui commence à me sourire et me connaître, malgré la gaieté bruyante de Clémence, je m’ennuie de l’absence de Manine. Je m’ennuie même si fort qu’il m’arrive de descendre du lit sans tenir compte de la défense qui m’en est faite. Je le regrette vite, car dans ma hanche, le chien hargneux veille…

Les après-midi me sont moins pénibles ; bien installée dans ma longue voiture où il m’est possible de m’adosser un peu, je couds des pièces de layette pour la petite Reine. Manine manque d’argent pour acheter de l’étoffe, aussi, je taille brassières et petites robes dans de vieux jupons de diverses couleurs que j’assemble de mon mieux.

Clémence qui est déjà coquette se moque de ces vêtements disparates et méprise sa petite sœur comme une poupée mal habillée. Sa poupée à elle est vêtue de dentelles fines et de satin rose, et elle ne supporterait pas qu’il en soit autrement. Son désir de belles robes pour elle-même n’est pas moins grand, et de plus, sa beauté à venir lui cause un véritable souci. Elle m’en parle à tout propos et si je ris de son insistance, elle se fâche et pleure. Souvent, assise à côté de moi, elle se regarde dans un bout de miroir qu’elle traîne partout avec elle, et, du bout de l’ongle, avec une inlassable patience, elle enlève une à une les petites parcelles de peau sèche que le hâle a brunie et fait craqueler sur son visage.

D’autres fois, attentive à ne pas froisser les dentelles et le satin de sa poupée, elle l’habille et la déshabille, sans un mot, interminablement.