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Tous deux s’empressaient auprès de toi, te prenant pour une vraie jeune fille tellement tu étais déjà grande. Pendant un arrêt, ils sont allés boire au buffet de la gare. Et, ils t’ont rapporté chacun un morceau de sucre mouillé d’alcool, l’un de kirsch et l’autre de cognac. Et toi, fine gueule, tu trouvais cela si bon que tu suçais les morceaux de sucre l’un après l’autre sans seulement penser à m’en offrir. Les jeunes gens s’amusaient fort de tes gestes de gamine. Et quand notre père leur eut affirmé que tu n’avais que treize ans, ils ont dit tous deux à la fois : « Je vous la retiens pour femme, M. Beaubois ». Ah ! comme nos parents riaient et comme nous étions heureux alors… »

Jusqu’à la prochaine lettre de Firmin, ma pensée va rôder vers la Meuse où la bataille fait rage.

De Valère Chatellier je ne sais rien ; aucun de nous ne connaît le numéro de son régiment et les recherches entreprises à Nice par oncle meunier n’ont pas abouti.

Au début, Firmin s’est étonné du silence de son ami ; mais depuis longtemps il n’en parle plus et je fais comme lui.

L’autre matin, comme je longeais le boulevard pour aller à mon travail, un soldat qui marchait près de moi se mit à courir en appelant : « Valère ! Eh ! Valère ». Celui qu’on appelait se retourna ; c’était un tout jeune soldat n’ayant rien de commun avec l’autre Valère, et je ne pouvais m’y tromper. Pourquoi donc alors, le banc qui n’était pas à trois mètres de moi, me fut-il si pénible à atteindre ?

Je n’avais guère le loisir de m’attarder sur ce