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Au tournant proche, ses gros souliers sonnent sur le pavé, et je crois entendre le pas cadencé d’une troupe de voleurs ayant déjà pris un village et s’en allant prendre un autre village.

Le soir-même, sans désespoir ni récrimination, Firmin nous fit ses adieux, nous entourant de ses bras et mettant presque autant de baisers sur mes joues que sur les lèvres fraîches de sa femme. Puis nous joignant toutes deux, épaule contre épaule il nous a dit :

— Aimez-vous, aimez-vous, mes deux chéries.

Moins d’une heure après, le régiment passait devant notre maison. Par bonheur, Firmin se trouvait de notre côté. Serrés l’une contre l’autre dans l’ouverture de la grille nous le regardions venir. Ses yeux plus larges et plus brillants encore allaient de l’une à l’autre comme avaient fait ses lèvres, et je compris que ses yeux disaient comme ses lèvres : « Aimez-vous, aimez-vous, mes deux chéries ».

Quand il fut passé, Rose arracha d’un coup sec une touffe de fleurs au rosier qui pendait sur nos têtes et chaque fois que Firmin se retournait elle levait très haut les roses qui s’effeuillaient un peu. Un jeune sergent tendit la main, et Rose lui donna les fleurs juste au moment où Firmin se retournait encore. Il acquiesça de la tête, et les deux hommes se sourirent.

Trois jours plus tard, un parent de Rose arrivant des Ardennes nous remit une lettre que Firmin venait de lui confier.

« Partez, nous disait Firmin, pour l’amour de moi, partez ! Allez à Paris attendre les nouvelles. »