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de rire et me moquer notre frayeur mutuelle. Je n’en fais rien parce que Firmin a un visage qui me rappelle le visage flétri de mon père.

Cette fois Rose ne songe pas à rire ; elle regarde intensément son mari et lui demande :

— Que sais-tu au juste ? dis-nous la vérité.

Firmin la regarde à son tour en répondant :

— Seulement ce que je viens de vous dire, j’ai tort de vous effrayer. Demain apportera la délivrance peut-être.

Il ajouta presque aussitôt :

— Ou une peine insupportable.

Il faut qu’il retourne à la caserne tout de suite. Il est venu en coup de vent, préférant nous apprendre lui-même la nouvelle. Il peut faire faute là-bas, car il n’est pas le seul à s’être échappé ainsi. Il dit en nous quittant :

— Nous sommes tous comme des fous.

Le lendemain n’apporte aucune précision ; malgré cela Firmin sait que son régiment doit partir d’un instant à l’autre, et il nous prie de faire les emplettes nécessaires à ce déplacement.

Au lieu de la délivrance que nous espérions, c’est la peine insupportable qui arrive. Firmin en nous l’apprenant n’est pas troublé comme la première fois. Il est pâle, d’une pâleur de colère, dirait-on, mais rien n’est défait dans son visage.

Sa femme, prête à sortir pour aller aux provisions, est prise d’un tremblement nerveux qui déplace le son de sa voix fraîche. On croirait qu’elle va pleurer, mais elle ne pleure pas ; elle s’efforce de sourire et dit avec un joli mouvement de la tête :