Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/202

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Son fin visage était comme un miroir où je voyais un autre fin visage, et dans ses beaux yeux je retrouvais d’autres beaux yeux que je ne reverrai jamais.

Quel mal étrange a donc laissé en moi le regard bleu de mon enfant ? Hors lui, rien ne m’attire ni ne retient ma pensée. Ce beau regard bleu je le cherche dans l’ombre comme dans la lumière. Chez les riches comme chez les pauvres. Au visage des enfants comme à celui des vieillards. Dans la rue aucun passant n’échappe à mon propre regard. Il y a des yeux pleins de sûreté qui s’en vont vers un endroit parfaitement connu d’eux. À ceux-là j’ai envie de crier :

« Emmenez-moi où vous allez ! » Aux autres, à ceux qui errent et s’égarent, j’ai envie de dire :

« Venez avec moi, nous chercherons ensemble. »

Ce soir, étendue sur mon lit, sans courage, même pour préparer mon repas, je pense à ce mal qui me ronge et dont je ne voudrais cependant pas guérir. Oh ! non, il ne faut pas que le petit visage de souffrance s’échappe de ma mémoire. Je voudrais seulement dormir ; dormir pour me reposer un peu ; mais le sommeil me fuit, mes rêves doivent lui faire peur.

Le regret que j’ai de mon enfant s’augmente de ma certitude de n’en plus avoir jamais.

« Un nouvel amour » m’a soufflé Manine.

Non, qu’apporterais-je à un autre homme ? Désormais il me faudra vivre seule.

Et voici qu’à penser à cela je me souviens d’un arbre que j’ai vu l’été dernier à l’entrée d’un parc. Il portait par le milieu du tronc une blessure large