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line, et recueillie par oncle meunier. Tante Rude l’a tout de suite employée aux travaux du moulin et des champs, puis, vers sa dix-huitième année, sans s’inquiéter de son goût, elle l’a mariée au garçon meunier qui touchait à la quarantaine. Le ménage s’est trouvé parfaitement d’accord malgré la différence d’âge, et dès la première année, Manine a mis au monde Clémence qui a maintenant près de sept ans.

Le garçon meunier est mort d’un accident au cours de l’hiver, et Manine attend d’un jour à l’autre la venue d’un nouvel enfant.

J’ai un réel contentement à me retrouver près d’elle. À la lueur d’une lampe pendue au plafond, je la regarde aller et venir dans la maison, où elle répare le désordre que nous venons de faire. Sa grossesse alourdit un peu ses mouvements, et ses sabots claquent mollement sur les dalles. De temps en temps elle fait semblant de gronder Clémence qui ne veut pas s’endormir. Puis, après avoir ranimé le feu et fait chauffer pour moi un bol de lait, elle approche une chaise et s’assied auprès de mon lit.

Elle est elle-même si contente de me voir là qu’elle se met à parler librement de toute chose. Son veuvage ne l’a guère changée, sa voix seulement est devenue comme craintive, mais son visage tout en largeur reste doux et sérieux, et elle continue de sourire en parlant.

Toujours nous avons été bonnes amies.

À l’âge de six ans, alors que mes parents m’avaient confiée à tante Rude pour une assez longue convalescence, c’est Manine qui s’était occupée