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l’eau vous inonde les pieds à tout moment, et il faut faire bien attention de ne pas glisser sur les dalles car, m’a dit une laveuse, on s’y casse facilement les jambes.

Et puis il y a le linge sale qu’il me faut trier et mettre en tas séparés. Ce linge a une odeur douceâtre qui me soulève le cœur. Là encore je fais comme les autres, mais parfois mon dégoût est tel qu’il m’est impossible de prendre la moindre nourriture. De plus ma fatigue est énorme, mes nuits se passent en mauvais sommeil et, au matin, mon corps est si raide que je me demande avec inquiétude s’il pourra se plier au bord du bassin.

Parmi mes compagnes de travail il y a la mère Françoise. C’est une très vieille femme, courageuse, et toujours de bonne humeur. Rien ne la rebute ni la répugne. Elle porte à pleins bras les plus lourds paquets, et à l’heure du goûter, il lui arrive de poser son pain sur un tas de linge sale.

Il y a aussi Mlle Lucas. Celle-là n’a pas comme les autres un air de pauvreté ; les effets qu’elle porte sont bien faits et en tissus de bonne qualité. Elle est silencieuse et d’une pâleur si extraordinaire qu’on pourrait croire qu’elle vient de sortir de sa tombe à l’instant. Elle a une trentaine d’années, ses larges yeux sont d’un noir mat et son regard est triste et inquiétant. Les autres la prennent en pitié parce que chaque fois qu’une cloche sonne quelque part elle dit :

— Entendez-vous la cloche du cimetière ?

Depuis qu’elle s’est aperçue de ma grossesse, elle me fait mille recommandations au sujet de la nourriture à prendre ; elle compose mes menus de