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bras en balancier il s’est dirigé vers la chambre à coucher et s’est jeté tout habillé sur le lit.

Se réveillera-t-il pour le repas du soir ?

Je ne lui ferai pas plus de reproches que les autres fois. À quoi bon ! l’ivresse, chez lui n’est pas un vice, c’est, un accident du samedi ; puisqu’il ne l’avoue pas, c’est qu’il en a honte. Je me rassure en me disant que cela passera, comme passe un mal léger qui ne laisse pas de trace. Valère, en ce moment, subit une sorte de transformation que j’attribue à la plénitude de sa force qu’il acquiert avec ses trente ans. Si ce n’est pas cela, qu’est-ce donc alors qui épaissit et fait si rouges ses oreilles autrefois minces et transparentes. Ses longues mains se transforment pareillement et les paumes en deviennent charnues et colorées. N’est-ce pas aussi l’assurance de son adresse commerciale qui enlève toute timidité de son visage et fait de ses yeux pâles ces deux lumières brillantes et presque vertes qui s’appuyent si fortement sur les gens qu’il regarde. Tout augmente en Valère Chatellier, sa voix basse devient éclatante, et son pas sonne dans la maison comme celui d’un maître. Va-t-il perdre ce je ne sais quoi qui affinait toute sa personne ? et son esprit va-t-il s’alourdir en même temps que son corps ?


Contre mon espoir, Valère ne s’est pas éveillé pour le repas du soir. Je lui ai parlé sans obtenir de réponse, et comme je lui passais un linge mouillé sur le visage il m’a éloignée d’une main brutale, et il a grogné :

« Laisse-moi tranquille, je veux dormir. »