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Valère arrête le balancement de sa chaise :

— Oh ! ma grande Annette ! ma très pure Annette ! tu ne peux pas savoir ce qu’est Bambou. Bambou, c’est la joie et le tourment des hommes, et celui-là serait bien coupable qui prendrait pour lui seul toute cette joie et tout ce tourment.

Il recommence à se balancer :

— Sais-tu ce qu’elle a imaginé ? Elle fait croire à ceux qui l’aiment qu’elle va être mère ; les uns pleurent de contentement et veulent l’épouser, et c’est alors qu’elle s’en sépare. Quant à ceux qui ne demandent qu’à rompre, elle les poursuit et les menace, et cela l’amuse follement.

Et comme si cela amusait de même follement Valère, il rit longuement.

Puis, il revient à la démarche de ses patrons :

— Ils sont bêtes ! Ils ne savent pas qu’Annette Beaubois est justement pour moi la riche affaire.

Il m’attire tendrement à lui en ajoutant :

— Celle-là sur qui je peux appuyer ma pensée pour la rendre plus claire, et ma joie pour la rendre plus vive.

Je voudrais rendre à Valère sa douce caresse, je voudrais l’assurer de ma foi en l’avenir, mais en cet instant je revois l’étang aux yeux immobiles et vitreux. Je revois les coulées luisantes où quelque chose d’invisible bouge entre les roseaux. Un frisson de peur et de dégoût me fait m’appuyer davantage contre Valère, mais au lieu des mots de douceur qu’il attend, je répète tout haut, comme en rêve, les mots d’adieu de Mme Lapierre. « Que le destin qui nous a unis nous garde. »