moindre contrariété comme à la moindre joie, elle tirait son chapelet pour implorer ou remercier la Vierge. Elle n’aimait pas le jeu quoiqu’elle fût bien portante à présent. Et quand il nous arrivait, à Firmin et à moi de jouer avec les jumeaux et de les faire rire jusqu’à les rendre malades, elle se tenait à l’écart, sans rire ni se fâcher.
Une fois pourtant, nous l’avions vue en colère. C’était au cours d’une rougeole qui nous obligeait, Firmin et moi, de garder la chambre. Pour éviter la contagion, nos parents avaient installé les trois autres à l’autre bout de l’appartement avec défense d’entrer dans notre chambre. Nous n’étions pas très malades, et les journées nous semblaient longues ainsi éloignés de tous. Pour nous distraire, notre père nous apporta des romans d’aventures, et bientôt Firmin ne parla plus que par Brahmane et Vichnou. Je devins vite la belle Sita dont il était le respectueux serviteur. Coiffé d’un énorme turban fait d’une serviette éponge, il venait à tout instant prendre mes ordres. Il se tenait devant moi, les jambes ridiculement arquées, et les bras si drôlement appuyés sur la tête que j’éclatais de rire à chaque fois. De plus je ne pouvais retenir le nom bizarre de ce serviteur hindou, et je l’appelais Gigotar. C’était alors des rires qui s’entendaient dans tout l’appartement. Angèle se lassa de les entendre ; malgré la défense de nos parents elle entr’ouvrit soudain notre porte et nous dit l’air indigné :
— Vous n’avez pas honte de rire comme ça, quand le bon Dieu vous envoie des maladies pour vous punir de vos péchés ?