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pierres, et comme ses vêtements sont couleur de terre, il arrive que l’on passe près d’elle sans se douter de sa présence. Elle habite une sorte de remise accotée à un vieux puits, quoiqu’il y ait encore assez de place pour elle dans la maison. Sa remise est entourée d’une haie d’épines sèches, et personne de nous n’a droit à l’eau de son puits.

Je me plais ici, pas autant qu’à Bordeaux cependant ; peut-être parce qu’il me manque Rapide ; le bon chien est mort dans une crise peu de jours avant notre arrivée ici.

Ce soir Valère n’est pas rentré en même temps que le voisin. Je l’attends, assise sur le rebord de la fenêtre. À peu de distance de moi il y a un amandier en fleurs ; pendant le jour il a l’air d’un bouquet blanc que la terre offre au soleil, mais maintenant, sous la douce lumière de la lune, on croirait qu’il s’est enveloppé d’un voile pour dormir.

Il doit être tard, car tous les bruits d’alentour ont cessé depuis longtemps. Il n’y a que la Crapaude qui remue je ne sais quelles pierres dans sa cabane et les grenouilles du bassin qui mènent leur chant continu et sonore. Au loin, tout éclairage est mort ; il ne reste, au bas du jardin, que trois lumières espacées qui font comme trois veilleuses à travers les arbres.

Comme il tarde, ce soir, Valère ! Ses patrons l’auront encore retenu à dîner. Je n’aime pas le savoir si tard en ville ; il rapporte de ces soirées une gaîté qui ne me paraît pas toujours de bon aloi. Pourtant sa tendresse n’en est pas diminuée ces jours-là ; il semble au contraire avoir une plus grande joie à me retrouver ; ses bras me retiennent