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Un gros passager qui rit aussi, nous invite :

— Venez donc, la mer est douce.

Valère les yeux brillants de désir, se tourne vers nous :

— On embarque ?

Et Firmin et moi de répondre ensemble :

— On embarque.

Nous passons et voilà le bateau parti. Nous ne demandons pas même où il nous mène. « Deux heures de traversée et je vous ramène demain. » Et, tout confiants nous gagnons l’arrière du bateau.

La mer n’est pas si douce que l’a dit le gros touriste, et son balancement indispose un peu Firmin. Mais Valère n’est nullement indisposé, il semble un autre homme sur ce bateau. Son teint s’est coloré, ses traits toujours un peu resserrés se sont ouverts. Il va et vient, d’aplomb sur le pont comme si il y avait toujours marché, et les mouvements de la houle le transportent de joie. Il joue avec les enfants ; il se porte au secours des gens qui perdent l’équilibre. Il est fort, il est brave et s’il lui arrive de recevoir un paquet d’eau qui l’inonde, il rit à la mer comme à un partenaire malin.

Firmin, le regard fixé au large me dit tout à coup :

— Pour mon amour, je braverai tout.

Il rapproche sa tête de la mienne et comme s’il parlait d’une fatalité sur notre famille il baisse le ton :

— Vois-tu, nous autres, les Beaubois, l’amour nous est nécessaire autant que l’air et la lumière. Je sens que j’aime cette jeune fille pour la vie, comme toi tu aimes Valère, comme notre mère