Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/140

Cette page a été validée par deux contributeurs.

chance, ne s’étonne pas moins de son audace :

— Croiriez-vous que moi, tout frais bleu et petit pioupiou d’un sou, j’ai attiré son attention en la regardant au point de la faire rougir ?

Valère n’approuve pas le rengagement :

— Ne te presse pas de prendre une décision ; je te garde une place dans ma maison de Nice.

Mais cela presse au contraire, car la libération de Firmin approche, et quoiqu’il n’ait aucun goût pour le métier militaire, je vois bien qu’il pense à ce rengagement comme à la seule possibilité de se rapprocher de celle qu’il aime.

Sur la plage, nous restons tranquilles et sages comme des enfants surpris d’une trop grande récompense. Tous trois nous aimons la mer et nous ne nous lassons pas de la contempler. Il y a des soirs où l’on jurerait qu’un bateau chargé d’oranges vient de faire naufrage sur la côte, tant le flot semble rouler des milliers et des milliers de ce fruit. D’autres fois ce sont des étoffes moirées aux couleurs splendides que la mer étale à perte de vue. Firmin regrette de ne pas pouvoir les saisir pour les offrir à sa fiancée, et Valère regarde avec envie les tapis de soie bleue qui remontent du fond et s’en vont en se balançant vers on ne sait quel palais de fée.

À la fin de la première semaine nous décidons de longer la côte. Arrivés à un petit port d’embarquement, nous nous approchons d’un bateau de touristes en partance. Sur le pont, des marins s’activent, prêts à démarrer.

— Deux heures de traversée, et je vous ramène demain, nous dit en riant le capitaine.