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gaîté je rembarre la sotte créature que je suis :

— Allons, Annette Beaubois, tu es ridicule avec tes craintes.


C’est à Nice que sera monté le nouveau magasin de chaussures, et Valère est parti ce matin pour en choisir l’emplacement.

J’ai fait bonne figure à ce départ, mais l’heure d’après, je n’ai pu m’empêcher d’adresser une lettre qui arrivera sans doute à Nice en même temps que le voyageur. Qu’ai-je dit dans cette lettre ? Je ne le sais plus. Je crains d’avoir troublé la joie de Valère et je me repens d’avoir écrit comme d’une mauvaise action. Pour faire cesser ce tourment, je sors de la maison.

Viens ! Rapide ! allons nous promener !

Nous sommes en février, il fait froid et il n’y a personne dehors. Après avoir couru un bon moment sur la route, Rapide s’engage dans un sentier de vignes et je m’y engage à sa suite.

La dernière fois que je suis passée par ici, les vignes dénudées étalaient et emmêlaient leurs sarments et cela faisait au sol comme un rugueux tapis de cordes brunes. Aujourd’hui il n’y a pas de tapis, les vignes sont taillées et les ceps noirs et tordus sortent de la terre d’un gris sale. Une tristesse me prend à les regarder. Il me semble marcher dans l’allée d’un cimetière où les morts chercheraient à s’échapper de leur fosse. La plupart de ces ceps ont l’air de bras décharnés se dressant vers le ciel. Il y en a qui paraissent vous menacer de leur poing noueux, tandis que d’autres avancent deux doigts écartés comme pour vous