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bateliers sur la rives, à d’autres bruits encore venant de la ville et que je ne pouvais préciser ; mais bientôt, plus fortes que tous ces bruits, plus fortes que les mots d’amour de Valère, des voix chéries crièrent vers moi. Le vent les avait prises sur ses grandes ailes en passant par le moulin et maintenant il les dispersait à ma recherche.

« Toi, Annette Beaubois, as-tu longuement songé à ceux que tu vas laisser derrière toi ? »

Dans mon cœur débordant d’amour pour un seul, il n’y avait pas de place aujourd’hui pour ceux-là. Pendant ce voyage de quelques heures seulement, et qui m’avait semblé plus long qu’une journée entière, aucun de ceux que j’avais laissés derrière moi n’étaient entrés dans ma pensée. Et voilà qu’ils se réunissaient et m’appelaient. Leur voix m’arrivait tantôt comme l’avertissement d’un danger, et tantôt comme un appel au secours. Et soudain j’eus peur. J’eus peur des voix chéries, j’eus peur de la nuit et du vent, des clapotements du fleuve et de ce pays que je ne connaissais pas et, toute frissonnante je tournai la tête pour regarder derrière moi.

Valère, avec de douces paroles m’obligeait d’avancer. Il m’entraînait, me serrant davantage contre lui. Et peu à peu, dans la chaleur de son corps si proche du mien, dans le soutien si ferme de son bras, je repris confiance et n’entendis plus que sa chanson d’amour.


Nous voici devant notre maison. La porte en est ouverte et sur le seuil une très vieille femme s’efface pour nous laisser entrer ; elle m’aide à