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un moment et sa vie s’en était allée pendant son sommeil. Je restais auprès de lui avec Firmin et Valère tandis que les enfants portaient la nouvelle au moulin. Tous trois nous le regardions sans pouvoir en détacher nos yeux.

— Qu’il est beau ! disait Firmin.

Oui, il était beau le vieux poète, quoique étendu de travers et les membres à l’abandon ; des insectes de toutes couleurs volaient autour de son visage et sur ses cheveux en broussailles, juste au bord de son front sillonné comme une terre fraîchement labourée, un grand papillon vint se poser un instant.

La nuit nous surprit ainsi. À regarder le vieux chemineau couché parmi les herbes, je me souvenais de la nuit passée en sa compagnie contre la barrière du pré. Je me souvenais de la chaleur de ses mains sur mes pieds nus et soudain il me sembla l’entendre chanter :

Alors je m’en allais sur les routes de France
Le long des buissons noirs et des fossés boueux.

Et voici qu’à l’heure de sa mort, il était étendu le long d’un fossé où coulait une eau fraîche et limpide. À ses pieds un rayon de lune faisait briller la rosée sur les menthes sauvages, et tout au creux du buisson proche, des vers luisants luisaient comme de petites étoiles tombées dans les ronces.

Maintenant il dort dans le cimetière du village et Manine lui porte des fleurs comme à un ami.

À remuer ces souvenirs, ma tête avait fléchi. En la relevant, je rencontrai le regard inquiet de Valère :

— Eh bien ? fit-il.