Page:Audoux - De la ville au moulin.djvu/119

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Pourquoi regretterais-je Angèle ? Elle m’est plus étrangère que la plus étrangère. Seule l’idée de me séparer de la petite Reine m’est pénible. La douce Manine qui le sait bien s’est empressée de me rassurer : « Je ferai en sorte qu’elle t’aime quand même. »

Mme Lapierre est toute heureuse de mon départ. Bien droite sur sa chaise à haut dossier elle m’a longuement parlé de l’union des âmes, union que rien ne pouvait rompre et qui donnait le vrai bonheur.

En la quittant, comme je passais son seuil, elle lança vers moi d’une voix très haute :

— Que le destin qui vous a uni vous garde !

Reste encore oncle meunier. Jusqu’ici le courage m’a manqué pour lui dire la vérité. Un tourment secret m’avertit qu’à lui je suis encore nécessaire. Ne suis-je pas sa fille ? Sa très grande fille, comme il aime à le dire. Mais lui-même ne m’a-t-il pas conseillé le mariage avec Valère ? Il m’eût bien fallu alors me séparer de lui.

Je n’ai pas non plus à regretter les visites de mon ami le chemineau. Il a fini de chanter, le vieux poète, et jamais plus je n’entendrai sa voix faite des sons les plus purs qu’il semblait avoir recueillis à toutes Les aubes et à tous les crépuscules.

Il n’est pas mort au fond des bois selon son désir. Il est mort sur le chemin selon qu’il a toujours vécu.

Au retour d’une promenade, par une belle et chaude soirée, les enfants l’ont aperçu couché au bord d’un fossé. Tout d’abord ils le crurent endormi, puis son immobilité les effraya, et ils nous appelèrent. Il avait dû s’étendre là pour se reposer