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et se lance après son ombre qu’elle prend pour une proie, et parce que son ombre lui échappe, elle tourne sur elle-même et bourdonne furieusement.

— Êtes-vous bien sûrs de ne rien regretter ? nous demande tout à coup Firmin.

Valère chasse rudement la guêpe en répondant :

— L’heure est à l’espoir et s’il y a des regrets ils viendront à leur temps.

Firmin approche son visage du mien et me regarde dans les yeux :

— Mais toi, toi, Annette Beaubois, as-tu longuement pensé à ceux que tu vas laisser derrière toi ?

Ainsi que Valère Chatellier je suis toute à l’espoir ; mon amour me paraît plus puissant que tout, et la vie s’allonge devant moi si pleine de bonheur que le plus petit regret ne peut y trouver sa place.

Firmin voit tout cela dans mes yeux lorsque je dis :

— Avec les jumeaux j’ai fini ma tâche ici.

— C’est vrai, fit-il.

Et il se détourna pour ajouter :

— Il s’agit maintenant de laisser vivre en paix Annette Beaubois.

Il nous quitta pour aller courir la campagne voulant emporter à la caserne, disait-il, un souvenir frais de tout ce qu’il aimait dans le pays.

Je restais seule avec Valère Chatellier dans le carré de soleil. Une grande douceur était sur moi malgré les paroles inquiétantes de Firmin.

À ceux que je vais laisser derrière moi je ne suis plus nécessaire. Les jumeaux ont déjà commencé le métier qu’ils ont choisi, et de plus, l’amour fraternel qui les unit les rend presque insensibles à toute autre affection.