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et silencieux, passent et repassent au-dessus de moi comme pour faire bonne garde à ma solitude.

Je ralentis en arrivant au grand bois. Il forme une masse épaisse, et cependant une clarté venue d’en haut se glisse entre les arbres et les montre chacun à leur place. Le bruissement des feuilles me rappelle celui du jardin : on dirait que les chênes se font part de ma venue et s’en réjouissent. Je leur parle tout bas : « Je vois bien, grands chênes, que vous savez la nouvelle ; mais ce soir je ne veux pas me promener sous vos branches ; je veux seulement me reposer auprès de vous comme auprès de vieux amis, puis je reprendrai le chemin de la maison en compagnie de la nuit qui se fait si belle et si douce pour fêter mon bonheur. »

Soudain je cesse d’avancer. Un homme de haute taille est sorti du bois et s’en vient à ma rencontre. Tout de suite, et malgré l’obscurité je reconnais Valère. Il me rejoint sans hâte, essoufflé pourtant comme s’il venait de fournir une course éperdue. Et dans le bourdonnement intense qui m’emplit les oreilles, j’entends :

— Depuis que je sais votre amour, Annette, je viens ici tous les soirs pour calmer le désordre de mon cœur.

Le désordre de mon propre cœur est tel que tout mon corps s’affaiblit et que je m’appuie à Valère comme je m’appuierais à un arbre.

Le silence s’étendit en moi comme autour de moi, puis sans force ni pensée, étroitement serrée contre Valère Chatellier, je franchis avec lui le fossé qui nous séparait du bois des grands chênes,