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son dithyrambe sur l’immortalité de l’âme par I. Immerseel.

Ses livres se tiraient ordinairement à 20 mille exemplaires pour la première édition. L’Énéidefut tirée à cinquante mille et payée à l’auteur quarante mille francs. C’est peu devant le tirage énorme de certains romans contemporains ; mais, pour l’époque, ces chiffres étaient prodigieux. Les Géorgiques eurent cinq éditions en moins d’un an. L’Essai sur l’homme, de Pope, traduit en vers, antérieur aux Géorgiques, par conséquent le premier de ses ouvrages et qui ne parut qu’en 1821, lui avait été payé 2400 francs, suivant acte passé le 24 février 1769 avec le libraire Bluet. Il travailla jusqu’à la fin. Deux ans avant sa mort, il écrivit encore un poème sur la vieillesse et disait « qu’il n’était que trop plein de son sujet ».

Retiré au collège de France, presque aveugle, le poète recevait tous les jours des personnes de l’ancien régime, des contemporains, des amis qui avaient applaudi à ses premiers succès, et les célébrités nouvelles, avides de voir un homme renommé que rendaient vénérable et son talent et son courage pendant la tourmente, et son audacieuse fidélité aux princes qui l’avaient protégé, et sa dignité silencieuse sous l’empire, et sa vieillesse, et son infirmité. Ils venaient causer chez et avec ce vieillard, qui n’avait rien perdu de sa bonté, de sa douceur, de son amabilité et de son esprit toujours jeune : Berryer, qui prenait là des leçons d’attachement monarchique, Villemain, jeune professeur de Charlemagne, qui venait de remporter un prix à l’académie, Picard, Casimir Delavigne, Talma, les deux Michaud, l’abbé de Féletz, échappé des pontons homicides, de Rochefort, Durreau de la Malle, le chevalier de Boufflers, Lamennais, Regnaud de Saint-Jean-d’Angély, Cuvier, Chateaubriand.

Quelquefois il paraissait dans les salles du collège de France et assistait aux leçons de son suppléant Tissot. Les étudiants l’acclamaient. Quand il venait à l’académie, ce qui était rare, il était accueilli avec un empressement flatteur et une déférence pieuse.

Regnaud de Saint-Jean-d’Angely a rappelé à son sujet les malheurs et la gloire du Tasse, puis le triomphe décerné à Voltaire ; mais aussi plus heureux que le poète d’Irène, Delille jouissait « avec