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Autour de lui on blâmait hautement ce poème de la Pitié, qui appelait la sympathie sur d’augustes victimes et excitait l’admiration pour des infortunes noblement supportées. Aussi les critiques, les pamphlets ne manquèrent pas. On était sûr de plaire au maître. Un folliculaire éhonté, tour à tour démagogue, jacobin, tribun, impérialiste, ultra, Carrion, marquis de Nisas, publia (1803) une brochure qu’on disait inspirée par la police : Pas de pitié pour la Pitié ; mais, c’est l’expression de Sainte-Beuve « Rien n’égale comme violence et infamie un certain pamphlet, Examen critique du poème de la Pitié, poème précédé d’une notice sur les faits et gestes de l’auteur et de son Antigone (Paris, 1803). »

L’anonyme s’attache à flétrir toute la vie de Delille, fait de la Pitié un crime d’état et le dénonce aux rigueurs du gouvernement consulaire. C’était le chevalier Dupuy des Islets, un famélique à tout faire ; il avait eu la maladresse, avant vécu dans l’intimité du ménage, de révéler certaines particularité que lui seul pouvait connaître. Ses odieuses révélation n’excitèrent que le dégoût public.

Il ne paraît pas que ces calomnies aient eu quelque influence sur le premier consul. « Napoléon déjà perçait sous Bonaparte », lui, qui aurait fait Corneille ministre et nommé Chateaubriand ambassadeur, aurait été heureux de combler Delille de faveurs ; il lui offrit les plus hautes distinctions. Mais le poète, gardant dans son cœur le culte des souvenirs, s’inclina silencieux. On dit même qu’ayant rencontré Bonaparte une seule fois, il répondit à ses avances par un mot piquant.

« Quoique un pouvoir si redoutée alors, a dit Campenon dans son discours de réception à l’académie, eût employé tous ses moyens de séduire et d’intimider pour obtenir quelques vers du chantre de la Pitié, le chantre de la Pitié est mort sans avoir interrompu son silence courageux. Noble et fidèle silence que les plus beaux vers ne sauraient égaler ! »

Renchérissant encore sur le dévouement de Delille à l’auguste famille des Bourbons que vantait le récipiendaire, dans sa réponse, Regnard de Saint-Jean-d’Angély, un des plus chers et