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justice et cet hommage — fit remarquer que vraiment il était indécent de voir un membre de l’académie française dicter des thèmes à des enfants. Lebeau, professeur d’éloquence latine au collège de France, l’appela comme professeur suppléant de poésie latine, qui était comprise dans cette chaire. La foule afflua à ses leçons, attirée et par le talent et — cela s’est vu — par la mine du professeur.

Treize ans après les Géorgiques, parut (1780) le poème des Jardins en huit chants. Des auteurs locaux ont voulu en attribuer l’inspiration aux sites charmants du Tabarit. Je le voudrais ; malheureusement les dates s’opposent à la légende. C’est le succès des Jardins qui lui valut les faveurs du comte d’Artois et sa nomination à l’abbaye de Saint-Séverin (1782), voisine du Tabarit ; et il y avait des années que le poète en lisait des fragments dans son cours au collège de France, à l’académie, dans les salons, manière du reste habile de se préparer des lecteurs.

L’œuvre fut accueillie avec enthousiasme et augmenta encore la réputation de l’auteur. On a prétendu — méchanceté des contemporains — que le poème des Jardins avait été enfanté en grande partie pour une femme très aimable, Mme Lecoulteux du Moley. Retenu par elle à la Malmaison, il composait souvent pour elle des madrigaux, des impromptus, des morceaux sur les travaux, sur les sites qu’il voyait et qu’il traçait sur les patrons de broderie de la belle, ou du papier servant d’enveloppe de sa tapisserie. Elle lui donna l’idée de lier ces diverses parties dans un plan général et d’en former un tout, dont est résulté le poème des Jardins[1].

L’anecdote, si elle n’est pas vraie, est bien jolie. Je sais que Delille ne perdait rien et savait merveilleusement l’art d’accommoder les restes. Victor Hugo par exemple, après un de ces succès qui ruinaient ses éditeurs, tirait de ses tiroirs un autre volume. Même Lamartine, dans la détresse de sa besogneuse vieillesse, pour remplir des pages, imprimait ses devoirs d’écolier. Quand Delille avait fait une description — et comme l’abbé Trublet, il décrivait, décrivait, décrivait, — il se demandait : « Eh bien où mettrons-nous cela

  1. Mémoires secrets, p. 256, 25 décembre 1780.