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gens sans fortune ; mais alors, comme aujourd’hui, les couronnes scolaires, les diplômes académiques n’assuraient pas le pain quotidien. Ce lauréat des concours universitaires fut « tout heureux et tout aise » de rencontrer une place de maître de quartier au collège de Beauvais, où il trouvait les souvenirs de Rollin et de Boileau. Le soir, au coin du feu, il proposait à ses élèves la traduction de quelques vers des Géorgiques, dont il s’occupait déjà. On dit que la méthode ne s’est pas perdue et que notamment Victor Cousin doit sa traduction de Platon à ses philosophes de l’école normale.

Delille a raconté dans la préface de l’Homme des champs une visite que le débutant littéraire fit alors à un homme illustre par lui-même et par le nom qu’il portait. « Au premier mot de traduction des Georgiques, Louis Racine se récria : c’était la plus téméraire des entreprises ; « Mon ami, M. Le Franc, dont j’honore le talent, l’a tentée ; et je lui ai prédit qu’il échouerait. » Cependant, le fils du grand Racine voulut bien me donner un rendez-vous. Je le trouve dans son cabinet au fond du jardin, seul avec un chien qu’il paraissait aimer extrêmement. Il me répète plusieurs fois combien mon entreprise lui paraissait audacieuse. Je lis avec timidité une trentaine de vers. Il m’arrête et me dit : « Non seulement je ne vous détourne plus de votre projet, mais je vous exhorte à le poursuivre. » La scène n’est-elle pas touchante ?

L’occasion était bonne. Delille envoya à Le Franc de Pompignan une ode que l’Année littéraire de Fréron (1758, t. V, p. 46) imprima avec quelques mots d’en-tête sur l’illustre poète, « émule de Racine dans sa tragédie de Didon, rival de Rousseau dans ses odes sacrées, l’égal de Virgile dans sa traduction des Georgiques, le chantre sublime du ciel et de la terre » le journaliste ajoutait : « Ce jeune poète promet beaucoup. »