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nuit et jour, pendant un mois, il broie ; il espère, il doute, sans repos, sans sommeil. Enfin, il enfourne les vaisseaux ; le feu est mis au four par les deux gueules, comme il l’avait vu faire aux verriers. Le moment est solennel. Là dans ce four est tout son avenir. Là est le fruit de neuf mois de fatigues surhumaines. Six jours et six nuits, seul, sans soutien, sans conseil, il se tient devant son fourneau, jetant du bois par les deux gueules. L’émail ne fondait pas. Désespéré, il s’imagine qu’il n’a pas mis dans son émail assez de substances fusibles, il écrase, il met en poudre de nouveaux ingrédients, courant de son four à son mortier ; l’émail ne fondait pas. Il n’y a plus à hésiter ; il prend le dernier écu, achète des pots, les enduit de l’émail qu’il vient de composer, et jette le tout au four. L’œil fixé sur la fournaise, il guette la fusion avec terreur. Encore quelques instants, la gloire est à lui, la richesse est à lui ; l’émail sera trouvé. Mais, horrible déception, affreux supplice ! il s’aperçoit que le bois va lui manquer. C’était à rendre fou ! Éperdu de douleur et de désespoir, haletant, couvert de sueur, il jette à son four ce qui lui tombe sous la main. Au feu les étais de ses treilles ! au feu les arbres de son jardin ! au feu sa table, ses chaises, tous ses meubles ! au feu le plancher de sa chambre ! La ruine est complète ! Les voisins vont criant par la ville qu’il met le feu à sa maison, et qu’il est devenu insensé. Heureusement l’émail a fondu : le secret est trouvé ; Palissy est sauvé ; l’artisan est devenu artiste ; le fou est passé génie.