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folie monumentale, une trouvaille incompréhensible au fin fond des bois.

« Des salles de cent pieds de long ; des escaliers immenses ; une double galerie, à des hauteurs vertigineuses, qui nous ouvre la vue des environs et qui place la cascade, de cent cinquante pieds au moins, sous nos pieds.

« Les plus beaux bois du Saint-Maurice sont entrés dans ce géant des caravansérails. On n’y voit que du bois. Certains panneaux de la salle de bal sont uniques. Et pour tout meuble, des restants d’établis, des manches de ciseau brisés, des ripes, enfin le spectacle du travail interrompu avec l’espoir d’être repris. Les arbres de la forêt poussent leurs branches par les fenêtres du second étage, mais il reste quatre étages où ils ne peuvent atteindre. Nous avons mangé des merises cueillies de cette façon dans la salle à dîner.

« Les ouvriers qui ont mis la main à cette construction y travaillaient avec l’ardeur des artistes. C’était un édifice populaire à l’égal de son propriétaire. On va même jusqu’à dire qu’un menuisier irlandais ou autre, en était tellement entiché qu’il voulut donner à son fils naissant le surnom de Shawinigan Hôtel. Le curé refusa de l’inscrire.

« Quand on a parcouru les environs immédiats de l’hôtel, le plan de M. Turcotte se montre avec sa praticabilité. Le site est des plus pittoresques ; il y a installé un hôtel. Le terrain se prête aux mille combinaisons de l’art du jardinier, il y avait fait tracer des sentiers en tous sens, placer des ponts, des lieux de repos, des gazons, etc. Quant aux ombrages, aux hermitages et aux bocages, l’étoffe était abondante, on y tailla à volonté. Déjà la renommée attirait sur ce curieux domaine l’attention de la foule, — mais la guerre américaine survenant de concert avec des revirements dans notre politique, la baguette magique qui avait fait surgir ces beautés se changea en roseau ; à l’agitation succéda l’immobilité ; la forêt reprit le terrain qu’on lui avait arraché ; un souffle de mort passa sur cette terre, et la solitude n’en est plus troublée que par les mugissements de la cataracte et le cri de surprise de quelques touristes. Plus tard, on en tirera des légendes qui ne sont pas encore nées.[1]

  1. LE NOUVEAU-MONDE, 15 août 1878, rapporte une dépêche des Trois-Rivières qui annonce que le magnifique hôtel situé près des chutes de Shawinigan, et qui avait été construit par feu l’hon. J.-E. Turcotte a été entièrement détruit par un incendie allumé par la foudre, dimanche soir précédent. Ce château appartenait alors en partie au juge Drummond, de Montréal, et à A. Turcotte des Trois-Rivières.