Page:Audet - Les députés de Saint-Maurice (1808-1838) et de Champlain (1830-1838), 1934.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 24 —

torze ans, à Montréal et, au grand déplaisir du juge Rolland qui était le premier juge puiné, promu au poste laissé vacant par la retraite du juge en chef Reid. Il résidait dans une maison située sur la rue lagauchetière et appartenant à M. Paul Lacroix, le père de M. Chs Lacroix, à l’endroit précis où se trouve aujourd’hui le couvent de la Miséricorde.

« C’était dans une pièce située au premier et qui lui servait à la fois de bibliothèque, de chambre pour les affaires ministérielles et de salle pour les examens des aspirants au barreau qui se présentaient devant lui de préférence aux autres juges, qu’il recevait ceux qui avaient affaire avec lui. Un jour se trouvait là M. Henry Judah, qui était un intime, et c’est lui-même qui m’a raconté le fait. Malgré les longues et vives douleurs causées par une incurable infirmité, il causait avec sa gaieté et son esprit habituels quand un domestique lui apporte une carte sur laquelle il jette à peine un regard et il crie de sa voix sonore et quelque peu emphatique : « Let him come in ». Aussitôt un étranger de haute mine et vêtu correctement de noir, portant l’habit à collet droit, et cravaté de blanc, entre et salue silencieusement. Cet homme porte vigoureusement ses soixante ans. Le maître du logis, prenant l’air de fière dignité qui lui était naturel dans les grandes occasions, indique de la main un siège à l’étranger.

« En présence l’un de l’autre, le visiteur et le maître de la maison semblent s’examiner avec un intérêt plus qu’ordinaire. Un sentiment de curiosité se déguise mal à travers leurs efforts pour le cacher, un souvenir lointain semble se faire jour dans leur esprit ; ils sont étrangers l’un à l’autre, mais ce n’est pas la première fois qu’ils se voient ; dans leur vie déjà longue ils ont dû se rencontrer ; le son de la voix qui se modifie avec l’âge mais qui ne change pas entièrement, certaines particularités de gestes et de manières qui suivent l’homme dans toutes les phases de la vie, provoquent une reconnaissance entre les deux inconnus.

« L’anglais parlé par le juge Vallières, sa correction grammaticale, la pureté de sa prononciation sans accent étranger, frappent son interlocuteur qui lui demande s’il n’a pas appris la langue en Angleterre.

« — Non, reprit l’autre, je l’ai apprise dans le Haut-Canada.

« — Vous avez donc habité ce pays ?