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V
L’ŒUVRE

aux acteurs et non aux auditeurs, quelques brèves phrases qui accompagnent le dialogue[1]. Entre ces conceptions opposées, celle du récit, plus ou moins animé par les inflexions de voix variées et par la mimique du lecteur ou du diseur, celle du drame à plusieurs rôles joués de façon à donner, ce qui est l’essentiel du drame, l’illusion des personnages, une conciliation est possible et elle a été proposée : Aucassin et Nicolette serait un « mime »[2], c’est-à-dire une composition dramatique dont « l’objet est l’imitation de la réalité par le geste et par la voix, sans recours aux procédés d’une mise en scène complète et régulière »[3] et sans l’emploi de plusieurs acteurs.

Nous croyons que la vérité est dans cette solution moyenne. Aucassin et Nicolette trouve ainsi sa place dans une série continue de compositions, de beaucoup inférieures, mais de même nature, qui s’étend du xiiie au xxe siècle. Le Dit de l’Herberie, de Rutebeuf[4], est un mime, et il est fait de deux parties, l’une en vers, l’autre en prose ; les monologues dramatiques du xve siècle et du xvie siècle[5] sont des mimes, et il en est beaucoup qui contiennent des dialogues ; par le Prologue de Verconus, diseur de mimes monologués[6], nous savons que l’imitation de personnages variés, au besoin dans la même scène, était un attrait de ses pièces ; le genre se continue à travers les siècles classiques par les parades, les boniments, les farces à un personnage[7], pour aboutir au xixe siècle à ces grandes scènes, souvent mêlées de chants, jouées par un seul acteur dans

  1. W. Meyer-Lübke ; cf. H. Heiss, Dans son Esquisse, p. 205, G. Paris parle d’Aucassin à propos du théâtre.
  2. Cf. notamment S. Aschner ; mais, avec d’autres mots, l’idée est déjà nettement chez. Moland, p. xxxix.
  3. E. Faral, Mimes français du xiiie siècle, p. xv.
  4. Voir Faral, o. c., 55 sq.
  5. Voir E. Picot, Romania, XV, 358 sq., XVI, 438 sq., XVII, 207 sq.
  6. Voir Faral, o. c., p. ix sq, ; Picot, Romania, XVI, 533 ; texte dans Anciennes poésies françaises pp. Montaiglon et Rothschild, XI, 176 sq. — Le Roman des Franceis d’André (début du xiiie siècle) pourrait être aussi un mime ; voir M. Roques, Mélanges Ant. Thomas, 378.
  7. Voir Picot, o. c.