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XV
DATE ET PATRIE

peut être un archaïsme voulu dans la description du costume ; ni de l’allusion au lagan, car le droit d’épave, théoriquement aboli en 1191, n’en a pas moins persisté longtemps en fait, et surtout il était connu bien après cette date, comme le prouvent de nombreux exemples du xiiie siècle, entre autres ceux de la continuation de Huon de Bordeaux imitée d’Aucassin.

Le fait que l’auteur d’Aucassin parait connaître, non seulement Chrétien de Troyes et peut-être Floire et Blancheflor, mais probablement Bovon de Hanstone, amènerait à placer la chantefable au xiiie siècle. C’est de ce siècle que date le grand développement du théâtre dans le nord de la France et il est tentant de rattacher Aucassin et Nicolette à ce mouvement. Enfin, l’art subtil et très conscient de l’auteur engage à ne pas trop vieillir l’œuvre. Il faut se borner à dire qu’Aucassin peut remonter à la première moitié du xiiie siècle.

Pour la patrie de l’auteur, on a proposé l’Île de France sans preuve, la Champagne[1] à cause de la ressemblance du style avec celui du Ménestrel de Reims, mais on pourrait aussi bien penser à la Picardie à cause de la ressemblance avec la prose de Robert de Clari. L’étude minutieuse de la langue a amené H. Suchier à conclure en faveur du Hainaut, mais la limitation géographique des traits sur lesquels se fonde cette opinion reste très incertaine[2], et M. Wilmotte s’est prononcé pour le sud du pays wallon ; G. Paris pensait en dernier lieu à Arras, à cause du développement du théâtre dans cette ville au xiiie siècle[3], etc.

Les faits invoqués par H. Suchier sont peu nombreux : il n’en peut être autrement, puisque seules les assonances, peu variées, et la mesure des vers nous permettent de distinguer de la langue du copiste, probablement picard, celle de l’auteur ; au reste celui-ci s’efforcait sans doute d’écrire dans une langue littéraire moyenne. Suchier a noté : 1o l’insertion ou la chute de e dans les futurs (prendera, acatrons), qui se rencontrent aussi bien au nord-ouest qu’au

  1. C’était la première opinion de G. Paris, cf. Romania, XXIX, 291.
  2. Cf. G. Paris, Romania, VIII, 292.
  3. Romania, XXIX, 291, et Poèmes et légendes, 102.