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XI
L’AUTEUR

pour Bourdillon son style décèle le ménestrel de métier[1] ; pour Foerster au contraire, c’est un homme de haute classe et il a trop de grâce naïve et de concision pour être un littérateur de profession[2] ; enfin, pour M. Walther Suchier, seul un petit bourgeois peut avoir eu ce goût du réalisme, cette pitié pour les petites gens que nous trouvons dans Aucassin, et l’originalité même de la forme fait penser que ce n’était pas un professionnel[3].

C’est vraiment ne pas rendre aux gens de lettres du moyen âge la justice qui leur est due que de les déclarer a priori incapables d’invention, de grâce, de fraîcheur et de brièveté ; et par contre il nous semble que bien des indices révèlent chez l’auteur d’Aucassin et Nicolette un écrivain de métier.

S’il connaît la littérature de son temps, il semble qu’il ne l’imite pas sans quelque intention parodique, par exemple dans le combat d’Aucassin et du comte Borgart. L’on a noté que les portraits d’Aucassin et de Nicolette sont traités selon la méthode enseignée dans les classes du moyen âge[4]. Les procédés abondent, dans la composition comme dans le style : parallélisme des descriptions (II et XII), des scènes (IV et VI, V et XI, XVIII et XXII), répétition de phrases qui contribue à donner à certains personnages un ton de simplicité naïve (Aucassin, le vicomte, le berger). Il y a une recherche certaine de l’appropriation des tons aux divers personnages, par exemple dans les propos des bergers (XXI) avec l’accumulation des diminutifs caractéristique des pastourelles, ou dans la brutalité des réponses du bouvier (XXIV) ; même pour de menus détails, on peut noter une différence sensible de langage entre les personnages ou les situations[5] ; certaines singularités de vocabu-

  1. Éd. de 1919, Introduction, p. xxvii.
  2. Zs. f. rom. Phil., XXVIII, 510.
  3. Introduction à la 9e éd. Suchier, p. xxi.
  4. Cf. E. Faral, Recherches, 27, n. 3.
  5. Voir, p. ex., l’usage des jurons : Aucassin jure d’ordinaire De par Diu ; les bergers ont une forme paysanne, Por le cuerbé ; le bouvier emploie une formule plus ample, ce qui correspond à l’habitude de gens plus grossiers à qui les jurons trop menus paraissent insuffisants, Por le cuer que cil Sires eut en sen ventre ; dans un moment de forte émotion le comte