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INTRODUCTION

fournir encore d’autres éléments de son conte : la rencontre d’Aucassin avec le bouvier (XXIV) ressemble à celle de Calogrenant avec le vilain dans l’Yvain de Chrétien de Troyes (v. 288 sq.) ; l’amour qui enlève à Aucassin le sens des réalités les plus immédiates est déjà connu par le Lancelot du même poète (3685–94) ; le déguisement de Nicolette en jongleur est un artifice fréquent, et par exemple, dans certaines rédactions de Bovon de Hansione, Josiane se déguise, se grime, se présente et conte son histoire exactement comme le fait Nicolette[1] ; l’emprisonnement de l’héroïne est un trait des lais de Marie de France[2] ; l’évasion par la fenêtre est dans Jehan Renart[3] ; Vivien est, ainsi que Nicolette, un enfant sarrasin, acheté comme esclave, baptisé et élevé en chrétien[4] ; le gracieux épisode de la « gaite » apparaît comme une transposition dramatique d’un chant d’aube, etc. Encore ne pouvons-nous tenir compte ici que de la littérature écrite, ou plutôt de ce que nous en avons gardé, et il est bien possible que les contes oraux aient fourni aussi à l’auteur d’Aucassin quelques traits, par exemple pour les aventures au pays de Torelore. Si bien que l’auteur d’Aucassin et Nicolette apparaît moins comme un intermédiaire entre l’imagination orientale et l’art français que comme un connaisseur averti de la littérature et de la tradition françaises de son temps.


III. L’Auteur. — De cet auteur, nous ne savons rien et cette ignorance a laissé libre carrière à l’imagination des critiques. Pour Gaston Paris, c’est un jongleur, qui nous a pour ainsi dire donné son portrait en nous contant le déguisement de Nicolette[5] ; pour H. Suchier, ce pourrait être un clerc lettré passé à la jonglerie[6], et

  1. Rédaction continentale I (éd. Stimming), laisses cxciv–vi.
  2. Dans Guigemar et dans Yonec.
  3. Escoufle, 3876–975.
  4. Enfances Vivien, 2330 sq.
  5. Poèmes et légendes, 102.
  6. Zs. f. rom. Phil., XXX, 519, n. 1.