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VI
INTRODUCTION

plusieurs personnages, qui ont connu longtemps la vogue et n’ont été remplacées qu’à la fin du xixe siècle par le monologue, qui en est une réduction à l’usage des salons. Aucassin et Nicolette apparaît ainsi comme un spécimen, le plus ancien que nous possédions, et aussi le plus précieux, d’une forme de théâtre que l’on rencontre à toutes les époques de notre littérature, où s’essayait tour à tour les plus grands artistes et les plus humbles bateleurs, et qui mériterait d’être étudiée dans son ensemble.

Il reste à coup sur possible de se figurer la chantefable exécutée par plusieurs acteurs à la fois[1] : le chanteur peut être différent du diseur, la mélodie peut être accompagnée par un ou plusieurs musiciens à côté des acteurs, dans les dialogues les répliques pourraient à la rigueur se répartir parfois entre deux ou trois acteurs[2], on pourrait enfin concevoir que telles parties du récit, où il est question de Nicolette, fussent dites par une femme, telles autres, consacrées à Aucassin, par un homme, etc. Mais rien de cela n’est nécessaire : un seul acteur peut suffire à l’exécution complète ; et il n’y a aucun argument à tirer pour le nombre des acteurs de l’indication qui précède les morceaux en prose[3], Or dient et content et fabloient : le pluriel a ici une valeur d’indéfini, comme le réfléchi dans l’indication Or se cante des laisses chantées ; si l’auteur a préféré pour les morceaux en prose le pluriel au réfléchi, c’est qu’il pouvait bien dire Or se dit, comme Or se cante, mais non pas Or se fabloie[4].


  1. G. Paris, o. c., 99 et 102 ; W. Meyer-Lübke. La longueur de la pièce tend assez vraisemblable l’hypothèse que le chanteur était différent du diseur ; cela aurait ménagé à l’un et à l’autre des repos nécessaires, et peut-être s’expliquerait-on ainsi l’alternance de morceaux dits et de laisses chantées. — Une dernière hypothèse est possible, mais indémontrable : la pièce serait un jeu de marionnettes.
  2. Mais qu’auraient fait en scène les acteurs obligés de rester muets pendant les récits, ou qui ne se seraient avancés que pour prononcer une ou deux répliques, par exemple : la mère d’Aucassin (II–III), le comte Borgart (X), Aucassin (XV–XVI), le roi de Carthage (XXXVII–VII) ?
  3. Cf. G. Paris, o. c., 100.
  4. Je ne pense pas que l’accumulation des verbes dire, conter, fabloier