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créer dans un des quartiers les plus pauvres de Londres un dispensaire où bientôt toutes les misères de la grande ville se donnaient rendez-vous, et nombre de pauvres gens, après la consultation, emportaient, avec leurs médicaments, quelques pièces blanches. Tous bénissaient le nom de leur bienfaiteur.


Faites attention, disait le Docteur Lanyon.

Heureux de se prodiguer à faire le bien, Jekyll trouvait une autre source de bonheur encore dans le profond amour qui l’unissait à lady Maud Carew, sa fiancée depuis quelques jours. Tous les sentiments de la jeune fille étaient à l’unisson des siens. Fervente admiratrice de son dévouement aux malheureux, de ses constants efforts vers son noble idéal, sous le charme de la puissance de séduction qui attirait vers Jekyll toutes les sympathies, depuis longtemps elle lui avait donné son cœur sans réserve, et elle n’aspirait qu’au jour où elle serait non seulement sa compagne aimante, mais aussi sa modeste collaboratrice.


Il avait créé un dispensaire…

Elle avait eu la douleur de perdre sa mère dès son adolescence, et son père, lord Carew, au lieu de l’envoyer terminer son éducation en quelque couvent à la mode, avait tenu à la garder auprès de lui, l’entourant de la plus profonde et de la plus diligente tendresse, veillant à développer ses qualités naturelles et la tenant jalousement à l’abri de tout ce qu’elle devait ignorer de la vie. Il y avait d’autant plus de mérite, qu’il était toujours très épris des plaisirs que l’existence pouvait réserver à l’aimable compagnon qu’il avait été de toute date et qu’il demeurait encore aux approches de la soixantaine.

Lorsque ce soir-là, quelques instants avant l’heure du dîner, Maud pénétra dans le salon où se trouvait déjà son père, délicieusement jolie dans sa fraîche toilette, elle tenait à la main un bouquet de merveilleux camélias.

— Tiens ! la taquina lord Carew, qui donc s’est permis de vous envoyer des fleurs, mademoiselle ?

Toute rose, elle vint s’appuyer à son épaule, et levant ses admirables yeux tendres et malicieux à la fois :

— Vous ne vous en doutez pas, peut-être ? dit-elle en souriant.

Il lui donna sur la joue une petite tape amicale :

— Ce grand séducteur de Frank, naturellement. Sais-tu, Maud, que ton vieux papa finit par en devenir jaloux ?…

… Les invités commençaient à arriver, et, parmi eux, le Dr  Lanyon, et un homme entre deux âges, John Utterson, à la fois compagnon de plaisirs de lord Carew ami de Jekyll et amoureux sans espoir de Maud.

— Avez-vous vu Frank aujourd’hui ? lui demanda celle-ci, lorsqu’il lui eut débité son compliment habituel.

— Non. Entre son laboratoire et ses pauvres, il devient insaisissable, et il ne lui reste plus de temps à consacrer à ses amis.


Heureux de se prodiguer…

— Il ne peut m’en consacrer que bien peu à moi-même, reprit la jeune fille, mais je ne me reconnais pas le droit de m’en plaindre ; je trouve tellement admirable qu’il sacrifie tant d’heures, chaque jour, pour les donner aux malheureux. Il me parait cependant être bien en retard, ce soir.

Un valet de pied présentait au même moment au maître de maison un billet qu’un messager venait d’apporter. Lord Carew y jeta les yeux et le passa à sa fille. Elle lut :

« Cher lord Carew,

« Veuillez m’excuser et exprimer à Maud mon infini regret de ne pouvoir être des vôtres à dîner. Plusieurs malades réclament encore mes soins au dispensaire. Mais, aussitôt libre, je m’empresserai, dans la soirée, d’aller vous, retrouver,

« Votre tout dévoué,
« Frank Jekyll. »