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LE FILM COMPLET

On ne songea pas à lui demander où l’avait appelé la course dont il parlait. La déposition de Jack avait déjà aiguillé tous les soupçons sur Hyde. Aux questions qui lui furent posées au sujet de ce dernier, Jekyll répondit qu’il ne l’avait pas vu depuis deux jours, que c’était un original, certainement aigri par ses difformités et par la maladie, mais qu’il ne pouvait admettre l’idée qu’il eût pu se rendre coupable d’un meurtre, à moins qu’il eût été frappé d’une crise subite de folie.


Il s’élança les mains en avant.

— Mais vous nous aiderez à le retrouver, Frank, s’écria Maud. Vous nous aiderez à découvrir l’auteur de ce crime abominable, n’est-ce pas ?

Il inclina la tête :

— Je vous promets, murmura-t-il, que je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir.

Il fit le suprême effort d’accompagner le corps de su victime, lorsqu’un peu plus tard on la ramena à son domicile, et il lui fallut encore trouver le courage de prononcer, pour Maud, des paroles de tendresse et de consolation, pendant qu’en lui-même résonnait implacablement le mot « assassin ».

Ce mot le poursuivait tandis que, délivré enfin de cette contrainte, il rentrait en courant presque se jeter, s’enfermer dans son laboratoire, s’y terrer comme une bête traquée. Et ce qui le faisait trembler et frissonner, ce n’était pas tant son crime lui-même, quelque horreur qu’il en éprouvât, ce n’était pas la crainte de la justice des hommes, c’était d’être devenu en dehors de sa volonté, contre elle, le jouet inconscient et tragique du monstre qu’il avait tiré de lui-même. Ce qui s’était produit une fois, et avec quelles effroyables conséquences risquait fatalement de se reproduire à tout instant. Il ne dépendait plus de lui de ne pas devenir inopinément, contre sa volonté douloureusement tendue, et à la face de tous, « l’autre », l’être d’enfer qu’il exécrait et que, par surcroît, la justice recherchait.


Lanlyon allait se pencher sur son corps.

Il résolut de ne plus sortir de chez lui, pendant quelques jours du moins, pendant le temps nécessaire à expérimenter si l’ennemi, — c’était le nom que lui donnait maintenant son cerveau torturé, — viendrait encore se saisir de lui.

Que penserait Maud, à ne pas le voir accourir auprès d’elle dès le lendemain de cette nuit tragique ?…

— Ah ! qu’elle ne croie plus à l’amour du malheureux que je suis, se répondait-il, qu’elle me croie parjure, qu’elle méprise Frank Jekyll… mais qu’elle ne se trouve pas tout à coup en présence de Hyde !


… Maud auprès de la dépouille de son fiancé.

Trois ou quatre jours passèrent. Comme un homme qui met les barres à ses volets et à sa porte, qui explore les placards et les dessous de son lit avant de se coucher, il fit un effort surhumain pour barricader son âme à l’emprise de son double, et il en sondait à chaque instant les replis cachés. Et pendant ce court laps de temps, il resta Jekyll ; il put même, le jour où il dut subir une nouvelle visite des magistrats venus pour procéder à une dernière enquête sur place, les recevoir, répondre à leurs nouvelles questions concernant Hyde, apprendre d’eux que l’on avait retrouvé, puis reperdu sa trace le soir même du crime, qu’on avait perquisitionné dans un misérable hôtel où il avait une chambre, qu’on y avait découvert, à demi calciné, le gourdin dont il s’était probablement servi pour assommer sa victime, qu’une souricière était tendue dans tous les endroits interlopes qu’il avait coutume de fréquenter.

Il eut un moment, contre sa raison même, l’espoir qu’il était parvenu à se reprendre.

Mais une lettre de Maud lui arriva, dans laquelle la jeune fille lui reprochait, en termes tendres et douloureux à la fois, son abandon dans sa tragique épreuve, et lui demandait d’être du moins auprès d’elle, le lendemain, aux obsèques de son père.