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messe que lui fait son royal amant, elle doit en obtenir la réalisation immédiate, sous peine de la rendre fragile, et de l’exposer aux plus dangereux retours.

— La marquise ? reprend Louis, avec un sombre sourire. Bah ! je l’exilerai en province.

— Mon cher seigneur ! dit Anne qu’une victoire si complète rend généreuse, c’est la faire aller trop loin peut-être. Mme de Pompadour est depuis longtemps attachée à Votre Majesté. Ses fautes ne méritent pas un traitement si rigoureux. Il suffira qu’elle s’en vienne à Paris habiter son bel hôtel d’Evreux, avec une pension qui la consolera un peu de sa position perdue.

— Soit, dit le Roi, plus léger maintenant que sa décision est prise. Je vais tout préparer pour ce grand changement. Mais, ma belle duchesse, je t’impose là-dessus un secret absolu. Ne dis rien à personne, pas même à ta sœur. Si mes projets se découvraient avant le temps, je serais jeté dans un fâcheux embarras. Tu as en revanche ma parole royale. Dans un mois d’ici, tu seras installée à Versailles et mon Parlement recevra les lettres de légitimation de Louis-Aimé… Baise-moi encore… Tu as ma parole.

Une heure plus tard, il quitte Anne pour regagner Versailles, dans le vis-à-vis à caisse grise, à un seul laquais sans livrée, qui l’attend dans la cour de l’hôtel. Dès que le bruit des chevaux s’est éloigné, Aune, transportée, à demi folle, fait plusieurs fois le tour de sa chambre. Elle a besoin de s’agiter, de parler, de s’épanouir. La joie la soulève hors d’elle-même.

— C’est moi, moi toute seule qui en suis arrivée là ! Quelle surprise pour le chevalier ! Il faudra bien qu’il revienne maintenant. Que je voudrais le voir ici !

Elle court à un bonheur du jour placé près de son lit, fait jouer un ressort secret et découvre une petite cassette. Elle y prend une lettre, la dernière lettre de Casanova. Elle se jette dans le fauteuil du Roi, déploie ces pages qu’elle sait presque par cœur déjà, les relit. Elle passe les conseils, les exhortations maintenant inutiles, arrive à ces lignes :

« Tu es dans tous mes rêves, mon amie. L’image de tes charmes, apparents ou cachés, ne quitte pas mon esprit. J’aspire sans cesse à notre réunion. Pourquoi t’ai-je quitté ? J’étais insensé sans doute. Fi de la politique, des affaires, de l’argent, même de la gloire ! je ne veux plus être qu’à toi. Si demain pouvait voir renaître notre félicité !… oh ! je n’aurai point besoin comme ton vieux sultan de confortatifs, de potions et de pilules pour te prouver ma tendresse ! je ne crains que l’excès de mes sentiments. Je baise les yeux les plus doux du monde, tu lèvres chaudes, tout ton beau corps… »

Anne n’en lit davantage. Ses joues s’enflamment.

— Le fou !… S’il dit vrai, pourtant, s’il m’aime !… Mon fils prince et mon ami revenu, je serais trop heureuse !

Elle baise passionnément lettre et la replie.

— Ah ! mon cher chevalier, murmure-t-elle, cette fois, tu seras content.