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P R I N C E S, LIV. II.

Nos Princes sont louez, louez & vicieux,
L'escume de leur pus monte jusqu'aux yeux,
Plutost qu'ils n'ont du mal quelque voix veritable.
Moins vaut l’utile vrai que le faux agreable :
Sur la langue d’aucun à present n'est porté
Cest espineux fardeau qu’on nomme verité,
Pourtant suis-je esbahy comment il se peut faire,
Que de vices si grands on puisse encore extraire

Quelque goust pour louer, si ce n'est à l'instant
Qu'un Roi devient infect, un flatteur quant & quant:
Croist, à l'envi du mal, une orde menterie,
Voila comment de nous la verité bannie
Meurtrie & defchiree est aux prifons, aux fers,
Ou esgare fes pas parmi les lieux deserts :
Si quelques fois un fol ou tel au gré du monde
La veut porter en Cour, la vanité abonde

De moiens familiers pour la chasser dehors

La pauvrette soustient mille plaies au corps,
L’injure , le defdain, sa robe deschiree,
Est des pauvres bannis & des Saincts reueree:

Je l'ai pris aux deferts, & la trouvant au bord
Des isles des bannis, j’y ai trouvé la mort:

La voici par la main, elle est marquee en sorte
Qu'elle porte un cousteau pour celui qui la porte :
Mais n'est-il question de perdre que le vent
D’un vivre mal-heureux qui nous fasche souvent,
Pour contenter l’esprit, rendre l'ame delivre
Des bourreaux, des menteurs qui se perdent pour vivre?
De fuir de ma vie une honorable fin,