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MISERES


Prend matière et liqueur d’un champignon pourri.[1]
Ce grand-geant changé en une horrible beste
A sur ce vaste corps une petite teste,
Deux bras foibles pendans, des-ja secs, des-ja morts,
160Impuissans de nourrir et defendre le corps ;[2]
Les jambes sans pouvoir porter leur masse lourde
Et à gauche et à droit font porter une bourde.[3]
    Financiers, Justiciers, qui opprimez de faim[4]
Celui qui vous fait naistre ou qui défend le pain,
165Sous qui le laboureur s’abreuve de ses larmes,
Qui souffrez mandier la main qui tient les armes,
Vous, ventre de la France, enflez de ses langueurs,
Faisant orgueil de vent vous monstrez vos vigueurs ;
Voyez la tragédie, abbaissez vos courages :
170 Vous n’estes spectateurs, vous estes personnages.
Car encor’ vous pourriez contempler de bien loin
Une nef sans pouvoir lui aider au besoin
Quand la mer l’engloutit, et pourriez de la rive,
En tournant vers le Ciel la face demi-vive,



167. Enflé T.

    Goulart sur la 1ère Sem. de du Bartas, éd. 1611, p. 294. Voir aussi, 1,439, Lettres : « Les drogues plus bénignes qui à la longue infectent le cerveau par les fumées d’un xile venimeux. »

  1. 156. D’un champignon. Cf. IV, 20, Préf.des Trag. : en forme d’une pierre ronde. Hist. univ., 1, 9 : en forme d’un vase.
  2. 160. Impuissans de nourrir. Cf. v. 739, un exemple de la construction impuissant à.
  3. 162. Bourde, béquille. Cf., pour l’étymologie qui se rattache probablement au lat. bǔrdum, mulet, le dictionnaire de Darm.,Hatzf. et Thom.,s. v. bourde et bourdon.
  4. 163 sqq. Cf. IV, 317, Disc. par stances, un passage analogue pour l’idée
    et parfois pour l’expression :

                            Le noble, le soldat, le laboureur quémandent,
                            Ceux qui font abonder le pain ou le deffendent ;
                            Soubz toy sont eslevez et sont devenus gras
                            Les asnes du Clergé, les pourceaux de Finance,
                            Enflant jusqu’à crever le ventre de la France,
                            Asséchant à la mort les jambes et les bras.

    Cf. aussi, II, 120, Médit. et IV, 85, Princes. des comparaisons analogues entre l’état misérable du royaume et l’état du corps humain affaibli par la maladie.