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INTRODUCTION.

d’Aubigné les épousa : il prit part à toutes les guerres religieuses qui suivirent. Dans tous les combats il se fait remarquer par sa bravoure téméraire : on le trouve au premier rang à Pithiviers (1576), au siège de Marmande (1577), à l’attaque de Blaye (1580). Il se distingue encore au siège d’Angers (1585), où il protège la retraite des protestants ; à Coutras il contribue par ses conseils à la victoire ; il est à Ivry, au siège de Paris, à celui de Rouen. Aucune entreprise ne lui semble trop périlleuse, il est l’homme de toutes les audaces et de tous les coups de main. À le voir ainsi rechercher le péril, on comprend qu’il appartient à cette vieille « phalange huguenote » dont parlait un jour le duc de Mayenne et dont les soldats étaient, disait-il, de père en fils apprivoisés à la mort. Par un de ces contrastes fréquents dans cette nature passionnée, tant de dévouement n’excluait pas une humeur grondeuse qui s’exerçait contre ceux-là même que d’Aubigné aimait le plus ; de là avec Henri de Navarre une série de brouilles, de là des exils volontaires, toujours, il est vrai, de courte durée : c’est pendant un de ces exils que d’Aubigné, retiré à Caslel-Jaloux, dicta de son lit, où le retenait une grave blessure, les « premières clauses de ses Tragiques[1] ». Après la paix de Bergerac (septembre 1577), d’Aubigné accusait de nouveau Henri de Navarre de se montrer ingrat envers lui ; cette fois il était décidé à quitter la France et à prendre du service en Allemagne ; et il partait, non sans s’être donné le plaisir d’écrire au roi un adieu hautain, où il lui rappelait les « douze blessures que pour son service il avait reçues sur la poitrine » ; bien plus, il lui faisait conduire un épagneul, jadis son chien favori, qu’il avait trouvé mourant de faim, et il avait soin de suspendre au cou de la bête un sonnet[2] qui se terminait ainsi :

Courtisans, qui jettez vos desdaigneuses veuës
Sur ce chien délaissé, mort de faim par les ruëes,
Attendez ce loyer de la fidélité.

Heureusement d’Aubigné passa par Saint-Gelay, et s’éprit de Suzanne de Lezay, de la maison de Vivonne ; « il

  1. Cf. I, 33, Vie.
  2. Cf. I, 37, Vie.