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sans, quelques nobles dames et plusieurs poètes du temps. Mais si pour un instant d’Aubigné oubliait le serment d’Amboise, s’il s’égarait jusqu’à combattre à Dormans dans les troupes catholiques, il conservait cette humeur satirique qui le distingue, et, au risque de se compromettre au milieu d’une cour défiante et hostile, il ne perdait jamais l’occasion d’une réponse satirique ou hautaine[1].

Pendant plus de deux ans d’Aubigné se laisse séduire par cette vie brillante et facile ; mais le protestant batailleur reprend en lui le dessus. C’était un soir qu’il veillait au chevet d’Henri de Navarre avec d’Armagnac, le premier valet de chambre du roi[2] ; d’Aubigné et d’Armagnac étaient les deux derniers serviteurs demeurés fidèles ; encore, découragés eux-mêmes, ils songeaient aussi à partir sans dire adieu ; Henri était malade et tremblant de fièvre ; ils l’entendirent soupirer derrière ses rideaux et chanter le psaume 88 « au couplet qui desplore l’esloignement des fidèles amis. » D’Armagnac engage d’Aubigné à prendre la parole ; d’Aubigné se décide : il exhorte le roi à la fuite, il le rappelle au sentiment de ses devoirs, il le presse de se dérober aux mollesses de la cour, de reprendre sa place à la tête de son parti. Dans ce discours d’Aubigné se retrouve tout entier : il est le protestant convaincu que les guerres civiles n’épouvantent point ; sans doute il repousse et il déplore la cruauté lâche et l’assassinat ; mais, malgré tout, il aime la lutte entre Français pour la religion, et il l’aime pour elle-même ; c’est cette nostalgie de la lutte qui le pousse à rappeler au roi de Navarre ses devoirs de chef de parti. À côté de cette passion pour les guerres religieuses en éclate une autre plus noble, dont on peut louer d’Aubigné sans restriction : on sent déjà dans son langage son attachement profond à ce roi aux pieds duquel « il a été nourri[3] », et dont il sera toujours fier, malgré des griefs passagers. Peu après, le 5 février 1576, d’Aubigné quitta la cour avec Henri de Navarre, qui s’était enfin décidé « à répudier les délices et à épouser les dangers[4] ». Avec lui

  1. Cf. I. 22, 23, Vie.
  2. Cf. Hist. univ., V, 4, sqq.
  3. Cf. Hist. univ., I, 9.
  4. Cf. Hist. univ., V, 7 sqq.