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{{tiret2|du|quel elles sont tachées soubs les présents, et leurs inhumanitez soubs la libéralité. Les Adiaphoristes, les prophanes mocqueurs, les traficqueurs du droict de Dieu, font monstre de leur douce vie, de leur recompense, et par leur esclat ont esblouy les yeux de nos jeunes gens, que l’honneur ne picque plus, que le péril n’esveille point. » Mon maistre respondoit : « Que voulez-vous que j’espère parmy ces cœurs abastardis, sinon que de voir mon livre jetté aux ordures avec celuy de l' Estat de l’Eglise, l' Aletheye, le Resveille-matin, la Légende Saincte Catherine, et autres de cette sorte ? Je gagneray une place au rolle des fols, et, de plus, le nom de turbulent, de républicain ; on confondra ce que je dy des tyrans pour estre dit des roys, et l’amour loyal et la fidélité que j’ay monstrée par mon espée à mon grand Roy jusques à la fin ; les distinctions que j’apporte partout seront examinées par ceux que j’offence, surtout par l’inique Justice, pour me faire déclarer criminel de leze-Majesté. Attendez ma mort, qui ne peut estre loing, et puis examinez mes labeurs ; chastiez-les de ce que l’amy et l’ennemy y peuvent reprendre, et en usez alors selon vos équitables jugements. » Telles excuses n’empeschoient point plusieurs doctes vieillards d’appeler nostre autheur devant Dieu et protester contre luy. Outre leurs remonstrances, je me mis à penser ainsy : Il y a trente-six ans et plus que cet œuvre est faict, assavoir aux guerres de septante et sept à Gastel-Jaloux, où l’autheur commandoit quelques chevaux-legiers ; et, se tenant pour mort pour les plaies receues en un combat, il traça comme pour testament cet ouvrage, lequel encores quelques années après il a peu polir et emplir. Et où sont aujourd’huy ceux à qui les actions, les factions et les choses monstrueuses de ce temps-là sont connues, sinon à fort peu, et dans peu de jours à nul ? Qui prendra après nous la peine de