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48 LES TRAGIQUES.

Ton sarig retournera où tu as pris ;

Au sein qui t’allaictoit rentre contre nature :

Ce sein, qui t’a nourry. sera ta sépulture ! »

La main tremble en tirant le funeste couteau,

Qiiand, pour sacrifier de son ventre l’agneau,

Des poulces elle estreind la gorge qui gazouille

Qiielques mots sans accents, croiant qu’on la chatou ille.

Sur l effroiable coup le cœur se refroidit,

Deux fois le fer eschappe à la main qui roidit :

Tout est trouble’, confus, en l’ame qui se trouve

N’avoir plus rien de mère et avoir tout de louve ;

De sa lèvre ternie il sort des feux ardants ;

Elle n’appreste plus les lèvres, mais les dents.

Et des baisers change^ en avides jnor sures !

La faim achevé tout de trois rudes blessures ;

Elle ouvre le passage au sang et aux esprits.

L’enfant change visage et ses ris en ces ris ;

Il pousse trois fumeaux , et, n’aiant plus de mère.

Mourant cerche des yeux les yeux de sa meurtrière.

On dit que le manger de Thyeste pareil Fit noircir et fuir et cacher le soleil. Suivrons-nous plus avant ? Voulons-nous voir le reste De ce banquet d’horreur pire que de Thyeste ? Les membres de ce fils sont connus au repas. Et l’autre, estant deceu, ne les connoissoit pas. Qui pourra vçir le plat oîi la beste farouche Prend les petits doigts cuits, les jouets de sa bouche ; Les yeux esteints. ausquels il y a peu de jours Que de regards mignons s embra^oient ses amours ; Le sein douillet, les bras qui son col plus n’accollent : Morceaux qui saoullent peu et qui beaucoup désolent ? i’-^ L Le visage pareil encore se fait voir