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MISERES. 47

On a veii labourer les ongles de l’humain. Pour cercher dans les os et la peau consumée Ce quoiiblioit la faim et la mort affamée.

Cette horreur, que tout œil en lisant a doubté De nos sens, desmentoit la vraie antiquité ; Cette rage s’est veiîe, et les mères non-meres Nous ont de leurs forfaicts pour tesmoings oculaires. C’est en ces sièges lents, ces sièges sans pitié. Que des seins plus aymants s’envole l’amitié. La mère du berceau son cher enfant deslie ; L’enfant qu’on desbandoit autre-fois pour sa vie Se desveloppe icy par les barbares doigts Qui s’en vont destacher de nature les loix ; La mère deffaisant, pitoyable et farousche, Les liens de pitié avec ceux de sa couche. Les entrailles d’amour, les filets de son flanc, Les intestins bruslants par les tressants du sang, Le sens, l’humanité, le cœur esmeu qui tremble. Tout cela se destord et se desmesle ensemble. L’enfant, qui pense encor aller tirer en vain Les peaux de la mammelle, a les yeux sur la main Qui deffaict les cimois ; cette bouche affamée, Triste, sous-rit aux tours de la main bien-aimée : Cette main s’emploioit pour la vie autrefois. Maintenant à la mort elle emploie ses doigts, La mort, qui d’un costé se présente effroyable, La faim, de l’autre bout, bour relie impitoyable. La mère, ayant long-temps combattu dans son cœur Le feu de la pitié, de la faim la fureur, Convoitte dans son sein la créature aimée, Et dit à son enfant, moins mère qu’affamée : « Rend, misérable, rend le corps que je t’ay faict,

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