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raconté des choses étranges de cette retraite solitaire ; de là, son nom de : Poste du diable — en sorte que depuis plusieurs années on était convenu de tirer au sort pour celui qui devait l’habiter. Les autres engagés qui connaissaient mon orgueil savaient bien qu’en me nommant unanimement, la honte m’empêcherait de refuser, et par là, ils s’exemptaient d’y rester eux-mêmes, et se débarrassaient d’un compagnon brutal, qu’ils redoutaient tous.

Vers les quatre heures, nous étions vis-à-vis le poste dont le nom me fait encore frémir, après un laps de soixante ans, et ce ne fut pas sans une grande émotion, que j’entendis le capitaine donner l’ordre de préparer la chaloupe. Quatre de mes compagnons me mirent à terre avec mon coffre, mes provisions et une petite pacotille pour échanger avec les sauvages ; et s’éloignèrent aussitôt de ce lieu maudit. Bon courage ! bon succès ! s’écrièrent-ils, d’un air moqueur, une fois éloignés du rivage. Que le diable vous emporte tous mes !… que j’accompagnai d’un juron épouvantable. Bon, me cria Joseph Pelchat, à qui j’avais cassé deux côtes, six mois auparavant ; bon, ton ami le diable te rendra plus tôt visite qu’à nous. Rappelle-toi, ce que tu as dit. Ces paroles me firent mal. Tu fais le drôle, Pelchat, lui criais-je ; mais suis bien mon conseil, fais-toi tanner la peau par les sauvages ; car si tu me tombes sous la patte dans trois mois, je te jure par… (autre exécrable juron,) qu’il ne t’en restera pas assez