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cinq ans une vision terrible, et il y a de cela soixante ans passés, m’a mis dans l’état de marasme où vous me voyez. Mais, mon Dieu, s’écria le vieillard, en levant, vers le ciel, ses deux mains décharnées : si vous m’avez permis de traîner une si longue existence, c’est que votre justice n’était pas satisfaite ! Je n’avais pas expié mes crimes horribles ! Qu’ils puissent enfin s’effacer, et je croirai ma pénitence trop courte !

Le vieillard, épuisé par cet effort, se laissa tomber sur son siège, et des larmes coulèrent le long de ses joues étiques.

— Écoutez, père, dit l’hôte, je suis certain que monsieur n’a pas eu intention de vous faire de la peine.

— Non, certainement, dit le jeune clerc, en tendant la main au vieillard, pardonnez-moi ; ce n’était qu’un badinage.

— Comment ne vous pardonnerais-je pas, dit le mendiant, moi qui ai tant besoin d’indulgence.

— Pour preuve de notre réconciliation, dit le jeune homme, racontez-nous, s’il vous plaît, votre histoire.

— J’y consens, dit le vieillard, puisque la morale qu’elle renferme peut vous être utile, et il commença ainsi son récit :

À vingt ans j’étais un cloaque de tous les vices réunis : querelleur, batailleur, ivrogne, débauché, jureur et blasphémateur infâme, mon père, après avoir tout tenté pour me corriger, me maudit, et mourut ensuite de chagrin. Me trouvant sans