Page:Aubert de Gaspé - L'influence d'un livre, 1837.djvu/80

Cette page a été validée par deux contributeurs.
78

— Allons, monsieur Amand, dit le jeune clerc notaire, il ne faudrait jamais avoir mis le nez dans la science pour ne pas savoir que toutes ces histoires d’apparitions ne sont que des contes que les grand’-mères inventent pour endormir leurs petits enfans.

Ici, le mendiant ne put se contenir davantage :

— Et moi, monsieur, je vous dis qu’il y a des apparitions, des apparitions terribles, et j’ai lieu d’y croire, ajouta-t-il, en pressant fortement ses deux mains sur sa poitrine.

— À votre âge, père, les nerfs sont faibles, les facultés affaiblies, le manque d’éducation, que sais-je, répliqua l’érudit.

— À votre âge ! à votre âge ! répéta le mendiant, ils n’ont que ce mot dans la bouche. Mais, monsieur le notaire, à votre âge, moi, j’étais un homme ; oui, un homme. Regardez, dit-il, en se levant avec peine, à l’aide de son bâton ; regardez, avec dédain même, si c’est votre bon plaisir, ce visage étique, ces yeux éteints, ces bras décharnés, tout ce corps amaigri ; eh bien, monsieur, à votre âge, des muscles d’acier fesaient mouvoir ce corps qui n’est plus aujourd’hui qu’un spectre ambulant. Quel homme osait alors, continua le vieillard, avec énergie, se mesurer avec Rodrigue, surnommé bras-de-fer ? et quant à l’éducation, sans avoir mis, aussi souvent que vous, le nez dans la science, j’en avais assez pour exercer une profession honorable, si mes passions ne m’eussent aveuglé ; eh bien, monsieur, à vingt-