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remarqué la besace, près de lui, pour le classer parmi les mendiants. Autant qu’il était possible d’en juger dans cette attitude, cet homme devait être de la plus haute statue. Le maître du logis l’avait vainement sollicité de prendre place parmi les convives ; il n’avait répondu à ses vives sollicitations que par un sourire amer et en montrant du doigt sa besace. C’est un homme qui fait quelques grandes pénitences, avait dit l’hôte, en rentrant dans la chambre à souper, car malgré mes offres, il n’a voulu manger que du pain. C’était donc avec un certain respect que l’on regardait ce vieillard qui semblait absorbé dans ses pensées. La conversation s’engagea néanmoins, et Amand eut soin de la faire tourner sur son sujet favori. Oui, Messieurs, s’écria-t-il, le génie et surtout les livres n’ont pas été donnés à l’homme inutilement ! avec les livres on peut évoquer les esprits de l’autre monde ; le diable même. Quelques incrédules secouèrent la tête, et le vieillard appuya fortement la sienne sur son bâton.

— Moi-même, reprit Amand, il y a environ six mois, j’ai vu le diable sous la forme d’un cochon.

Le mendiant fit un mouvement d’impatience et regarda tous les assistans.

— C’était donc un cochon, s’écria, un jeune clerc notaire, bel esprit du lieu.

Le vieillard se redressa sur son banc, et l’indignation la plus marquée parut sur ses traits sévères.