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avait décidé St. Céran à voyager dans le Haut Canada, d’où il revenait lorsqu’il rencontra Guillemette chez Lepage.

Peut-être Amand avait-il une autre raison de refuser sa fille au jeune homme ; St. Céran n’était pas riche et avait souvent refusé de lui prêter de l’argent. Les jours de bonheur étaient passés et la joie faisait place à la tristesse, et au malheur. Qui pourrait s’en plaindre ? Qui pourrait espérer de trouver, au milieu d’une société d’hommes corrompus, la vérité, la paix et l’harmonie, seuls principes qui peuvent conduire à la vertu ; et sans la vertu, plus d’amour entre les hommes.

St. Céran l’avait étudiée, cette société tant vantée, et il en connaissait les fondements, qui sont : l’amour propre, la vanité, le désir de plaire, se croire admiré de tous, prendre le sourire du mépris pour celui de l’admiration, se tourmenter toute une nuit, s’ennuyer et se dire à soi-même :

— Ah ! je me suis bien amusé ce soir.

Pendant une belle nuit du mois de Septembre, St. Céran, seul, sur une belle anse de sable qui s’avançait dans le fleuve, était plongé dans une réflexion profonde. Tout-à-coup il se prit à sourire amèrement et se dit tout haut : — Cela est vrai ; mais je possédais cette malédiction de l’espèce humaine : — l’énergie ! C’est une maladie qui tue : il fallait la détruire. Je n’étais pas né pour exister, j’étais né pour vivre ; ne pouvant aimer je méprisai ; mais j’avais toujours ce sou-