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le silence de la nuit : la tempête régnait dans toute son horreur ; et le sifflement du vent, mêlé au fracas de la pluie et au mugissement des vagues, se faisait seul entendre. Il referma la porte avec précaution, ouvrit la fenêtre qui donnait sur le rivage, y jeta le corps et le rejoignit aussitôt. La force du vent le faisait chanceler et la noirceur de la nuit l’empêchait de voir la petite embarcation dans laquelle il se proposait de se livrer avec sa victime à la merci des flots. Il la trouva enfin et quoiqu’il eût fallu la force de deux hommes pour la soulever ; il la fit partir de terre d’un bras vigoureux, y déposa le corps, et la porta jusqu’à l’endroit où la vague venait expirer sur le rivage. Il attacha alors le cadavre derrière le canot et, s’y étant placé, il fit long-tems de vains efforts pour s’éloigner : le vent qui soufflait avec force du nord et la marée montante le rejetaient sans-cesse sur la côte. Enfin, par une manœuvre habile, il parvint à gagner le large, et après un travail pénible de deux heures, épuisé de fatigue et se croyant dans le courant du fleuve qui court sur la pointe de St. Roch, il coupa la corde et dirigea sa course vers le rivage. Il trouva tout chez lui dans le même ordre qu’il l’avait laissé, referma la fenêtre et se mit à l’ouvrage. Il déposa l’argent dans son coffre, brisa la cassette dans laquelle le colporteur transportait ses marchandises, les mit dans un sac qu’il serra, jeta les planches dans la cheminée, mit de côté les habillements, lava les taches de sang du