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aux cheveux blonds, boive la coupe des passions, comme elle, fille du Midi à la longue chevelure noire, à l’âme de feu !… Mais ce que je ne puis concevoir et ce qui répugne à la raison, c’est qu’un être, auquel on ne peut refuser le nom d’homme, puisse s’abreuver du sang de son semblable pour un peu d’or…

Sur les bords de la charmante rivière des Trois-Saumons est une jolie maison de campagne peinte en rouge qui touche, au côté sud, à la voie publique et, au côté nord, au fleuve St. Laurent ; les arbres qui la couvrent de leur feuillage, sur le devant, invitent maintenant le voyageur fatigué à se reposer ; car c’est à présent une auberge. Autrefois ce fut la demeure d’un assassin, et ses murs, maintenant si propres et si blancs, ont été rougis du sang du malheureux qu’un destin fatal avait conduit sous son toit.

Au tems dont je parle, elle était occupée par Joseph Lepage, homme chez lequel deux passions seulement s’étaient concentrées ; l’une qui n’a de nom que chez la brute, et l’autre, celle du tigre : la soif du sang. Il pouvait, comme la tigresse d’Afrique se reposer près du cadavre qu’il avait étendu à ses pieds et contempler de son œil sanglant, sa victime encore palpitante.

Qui pourrait peindre cette malédiction de Dieu incarnée ? Personne… Essayons au moins d’en donner une faible esquisse. Cet homme était d’une taille et d’une force prodigieuses : il eût été bien proportionné sans son immense poitrine ;