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La victoire va leur imposer un effort intense et régulier. Au vieux Japon, le sol suffisait à nourrir le peuple et l’on évaluait les fortunes par les revenus en koku de riz. Comme artisan, petit boutiquier, comme agriculteur surtout, chacun était assez indépendant dans son travail, qu’il pouvait couper de loisirs. Maintenant, l’avenir du pays, à portée de la rizière coréenne et du champ mandchou qu’il va contrôler, tient au développement de l’usine et de sa discipline collective, au passage des campagnards à l’industrie des villes, à la formation d’une classe de capitalistes. N’ayant pas les milliards russes pour payer leurs dettes et pour reforger des armes de combat, il leur faudra mener une vie d’économie et de travail réglé, pour développer leurs exportations. Ils ont la formidable tâche d’être le bras industrieux et le cerveau organisateur de l’Extrême-Orient. Chez eux, au Japon, où ils vont sans doute être obligés d’autoriser les étrangers à posséder ; en Corée, en Chine, où ils seront contraints de laisser la « porte ouverte », ils auront à lutter, non seulement contre les capitaux, mais aussi contre les méthodes européennes et américaines. Ils ne peuvent réussir qu’en se transformant. C’est l’américanisation forcée de ce peuple qui n’avait ni les qualités ni les défauts des Anglo-Saxons : c’est l’éloignement de la nature, c’est la vie d’usine, l’effort mesuré, mais régulier et intense, l’appétit de jouir, le goût d’un bien-être pesant, au lieu de la vie légère et fluide d’autrefois.